Étude de Kirrha

Dynamiques environnementales holocènes et reconstitutions paléogéographiques dans la plaine de Kirrha

 
La mission de prospections géomorphologiques et paléoenvironnementales menée dans la plaine de Kirrha en 2013 devait permettre de répondre à différentes problématiques environnementales :
 
  • Quelles ont été les grandes étapes d’édification de la plaine à l’échelle des 15 000 dernières années?
  • Quelles ont été les grandes ambiances végétales et climatiques régionales durant cette même période?

L’étude diachronique sur le temps long et à différentes échelles permet aussi de répondre à des questionnements archéologiques locaux et régionaux :
 
  • Où et quand se sont installés les premiers occupants du site de Kirrha? Le site était-il littoral? Etait-il situé à proximité d’un cours d’eau ?
  • A partir de quand la plaine de Delphes a t elle été mise en valeur pour l’agriculture? Quelles ont été les espèces végétales successives durant l’Holocène?

Ces questionnement environnementaux et archéologiques se recoupent autour de trois thématiques communes auxquelles les missions de 2013 tâcheront de répondre :
 
  • L’étude des variations de niveaux marins depuis 15 000 ans et des paléogéographies littorales successives
  • L’étude des dynamiques alluviales et de la réponse des cours d’eau à la remontée post-glaciaire
  • L’étude des pollens pour la reconstitution des courbes climatiques régionales en Phocide.

Pour répondre à ces questions complexes, une méthodologie interdisciplinaire a été adoptée, qui va de l’océanographie à l’étude de carottes sédimentaires en laboratoire en passant par la cartographie précise des formations superficielles dans la plaine de Kirrha. La mise en place d’un SIG spécifique a été indispensable pour synthétiser et spatialiser toutes ces données.
 

I/ Mission océanographique

 

a) Objectifs, collaboration et matériel

 
                La mission océanographique, menée en collaboration avec l’Hellenic Center for Marine Research a eu lieu du 5 au 8 Juillet 2013. Effectuée grâce au navire océanographique Alkyon, elle avait pour objectif de quadriller le golfe d’Itea jusqu’au golfe de Corinthe. Cinq outils principaux ont été utilisés pour reconstituer les paléogéographies successives de la plaine depuis 15 000 ans : la bathymétrie très haute résolution (multi beam acquisition), la bathymétrie single beam, le scan des fonds marins par Side Scan Sonar, l’étude des structures sédimentaires sous-marines par sismique réflexion embarquée et le prélèvement d’échantillons jusqu’à 80 mètres de profondeur.

                Deux navires de l’Institut océanographique grec ont été mis à disposition (fig. 1) : l’Alkyon ainsi qu’un zodiaque pour les zones peu profondes. L’Alkyon, long de 13,4 mètres, est équipé pour faire toutes les prospections géophysiques et bathymétriques ainsi que pour prélever des échantillons à plus de 300 mètres de profondeur. Le zodiaque était quant à lui équipé d’un sonar embarqué et d’une pince à prélèvements pour les échantillons peu profonds (jusqu’à 20 mètres).
 
Fig. 1 : A gauche, le navire Alkyon. A droite le zodiaque utilisé pour les zones littorales peu profondes
Fig. 1 : A gauche, le navire Alkyon. A droite le zodiaque utilisé pour les zones littorales peu profondes
 

b) Relevés sonar et bathymétrique à proximité du rivage actuel

 
                Tout le littoral actuel de Kirrha et d’Itea a fait l’objet de prospections sous-marines en zodiaque. L’objectif était de cartographier les fonds marins et les formations superficielles qui les composent, particulièrement à l’embouchure des deux cours d’eau, l’Hylaitos et le Pléistos. Le matériel utilisé était un sonar embarqué. Cet outil permet un scan très précis des fonds marins ainsi qu’un relevé bathymétrique très fiable. L’acquisition des données a consisté en une succession de tansects parallèles du rivage à environ 500 mètres au large. Les données Sonar et bathymétriques ont été assemblées et nous donnent donc une excellente cartographie des fonds marins à moins de 500 mètres du rivage, ainsi que de la bathymétrie (Fig. 2, 3, 4, 5).

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Fig. 2 : Profils sonar et bathymétriques effectués le long du rivage actuel sous la forme de transects

 

c) Modélisations bathymétriques multi-faisceau dans le golfe d’Itea

 
                Les relevés bathymétriques se font de deux manières (fig. 6). La méthode du “single-beam” permet de prendre la hauteur de la tranche d’eau verticale sous le navire. Les mesures sont donc linéaires et ponctuelles et la modélisation 3D se fait par interpolation entre les lignes de mesure sous SIG. La seconde est celle du “multi-beam” ou bathymétrie multi-faisceau. Les mesures se font à la verticale mais aussi à droite et à gauche du navire. La distance latérale couverte par les faisceaux et corrélée à la hauteur de l’eau : plus les fonds sont profonds, plus la zone couverte par le muti-beam sera large. La précision des modélisations est alors centimétrique. Cette méthode est utilisée notamment pour la recherche d’épaves en hauts fonds.

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Fig. 6 : Deux modes d’acquisition des données bathymétriques utilisés à Itea : le single-beam et le multi-beam.
 
La modélisation multi-faisceau a été utilisée à deux reprises dans le golfe d’Itea : pour modéliser un ancien niveau de plage submergé et pour modéliser le delta d’eau douce que les fleuves Hylaitos et Pléistos formaient lors du Dernier Maximum Glaciaire, et qui se jetait dans les eaux du lac de Corinthe.
La première modélisation (fig. 7), associée à des prélèvements sous-marins, révèle l’existence d’une paléo-plage à environ -50 mètres. Elle est principalement composée de sables grossiers associés à une malacofaune abondante et fracturée dont certaines espèces sont typiques des zones sableuses littorales. On y remarque aussi des blocs et des galets en grande quantité. Les coquilles récupérées ont été envoyées pour datation.
La seconde modélisation couvre une plus large surface et couvre toute la zone du paléo-delta d’eau douce qui était actif lors du dernier maximum glaciaire (fig. 8). Le niveau d’eau du lac de Corinthe se situait à -80 mètres et on remarque bien les différents lobes deltaïques ainsi qu’un front prodeltaïque bien marqué.
 

d) Profils de sismique-réflexion

 
                Durant trois jours complets, le navire Alkyon a réalisé, en plus des relevés bathymétriques et sonar, une succession de profils de sismique réflexion. L’appareillage utilisé était un Boomer haute résolution de fréquence 3,5Khz. 118 km de profils ont ainsi été obtenus, suivant des transects parallèles et perpendiculaires (fig. 9). L’étude de ces transects permettra de reconstituer en 3D les grandes étapes de la remontée post-glaciaire dans la plaine, de définir les paléo-plages et de mieux comprendre les réponses morphologiques des cours d’eau à cette remontée.

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Fig. 9 : Cartes des transects de sismique-réflexion (A) et de sonar (B) réalisés dans la baie d’Itea
 

e) Prélèvements sous-marins

 
                En fonction des données observées sur les fonds marins, trente-cinq prélèvements à grande profondeur ont été réalisés grâce au navire Alkyon. Effectués à l’aide d’une pince automatique (fig. 10)) reliée à un câble de haut profondeur, ils ont permis de prélever cinq kilogrammes de sédiments qui feront l’objet d’analyses de laboratoire.

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Fig. 10 : Prélèvement d’échantillons sédimentologiques sous-marins
 
                Les résultats préliminaires confirment donc que la plaine d’Itea se jetait dans un lac d’eau douce sous la forme d’un delta au Dernier Maximum Glaciaire. La topographie de ce delta a été obtenue en très haute résolution. Les paléo-cours de l’Hylaitos et du Pléistos ont aussi été mis en évidence, ainsi que l’existence d’anciens canyons et terrasses fluviatiles. Les profils obtenus au sonar embarqué ont permis de mettre en évidence d’anciennes plages de sable submergées, qui ont été échantillonnées, parfois à -70 mètres de profondeur. Selon toute vraisemblance, il s’agit de plages du début de l’Holocène. Les profils sonar obtenus à proximité du littoral actuel nous renseignent sur les dynamiques actuelles des cours d’eau et sur leurs transits sédimentaires. Une cartographie de l’épaisseur de ces dépôt littoraux est désormais possible et doit être mise en lien avec les vestiges sous-marins repérés dans le port de Kirrha.
 

II/ Palynologie et paléoclimatologie

 

a) Objectifs, lieu de prélèvement, méthode et matériel

 
La reconstitution des paysages végétaux se fait par le biais des études palynologiques. La difficulté était detrouver une zone susceptible d’avoir enregistré et stocké les pollens depuis des millénaires sans grande perturbation. Le choix de l’emplacement s’est porté sur une doline d’effondrement karstique au sud de la ville d’Itea. Trois carottes effectués grâce à une sonde russe (fig. 11) ont été réalisées dans cette doline sur une profondeur d’environ 7 mètres (fig. 12). Les sédiments seront analysés au Laboratoire de Géographie Physique de Meudon, UMR 8591.
 
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Fig. 11 : Sonde russe + DGPS Leika utilisés pour les prélèvements et la modélisation 3D de la doline
 
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Fig. 12 : Doline d’effondrement dans laquelle les carottages ont été réalisés. Exemple de carotte remontée et modélisation 3D de la doline par assemblage photographique.

 

III/ Prospections géophysiques dans la plaine d’Itea

 

a) Objectifs, méthode et matériel

 
                Les prospections géophysiques ont été menées par la méthode des transects de résistivité électrique. Au total, près de 5 km de profils ont été réalisés dans la plaine (Fig. 14). Ils avaient pour principal objectif de cartographier les anciens cours d’eau enfouis et de comprendre les dynamiques alluviales holocènes.  Différentes profondeurs d’investigation ont été privilégiées : 20 mètres et 50 mètres en espaçant les électrodes. Deux profils ont aussi été réalisés sur le tell de Kirrha pour tenter d’en comprendre l’étendue et l’épaisseur.

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Fig. 14 : Carte de localisation de transects électriques dans la plaine. Photographie prise sur le terrain lors d’une mesure
 

IV/ Carottages dans la plaine d’Itea

 

a) Objectifs, méthode et matériel

 
Afin de compléter ces profils et de préciser les contextes sédimentaires jusqu’à dix mètres de profondeur, une série de carottages a été effectuée dans la plaine et à proximité du tell de Kirrha (fig. 18). Ces carottages ont été faits à la tarière à main ainsi qu’au carottier à percussion (fig. 19). 14 forages ont été réalisés et échantillonnés.

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Fig. 18 : Localisation des forages en aval de la plaine

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Fig. 19 : Carottages au carottier à percussion et à la tarière manuelle
 

Conclusions préliminaires et perspectives

 
L’année 2013 a été consacrée à l’acquisition de données de terrain. La campagne de mesures océanographiques a permis de mettre en évidence d’anciennes plages submergées et de mieux comprendre le tracé des cours d’eau depuis le Dernier Maximum Glaciaire.
La campagne de prospections géophysique et de carottages a mis en évidence les dynamiques fluviales holocènes dans la plaine ainsi que le changement de cours des deux fleuves principaux. Enfin, les carottages ont permis de définir les zones qui ont été submergées, au moins au début de l’Holocène, par la remontée post glaciaire. Il y a 10 000 ans, le littoral était bien plus haut qu’aujourd’hui et la mer occupait la moitié de la plaine actuelle. Le site de Kirrha était d’ailleurs implanté au milieu d’une lagune peu profonde.
L’année 2014 sera consacrée à l’étude de laboratoire des prélèvements et à la spatialisation des résultats. Particulièrement, l’étude des profils sismiques sous-marins permettra de reconstituer en 3D l’évolution des paléogéographies littorales depuis 15 000 ans. Les forages feront l’objet d’études granulométriques afin de préciser les environnements dans la plaine et à proximité du site de Kirrha. Enfin, les grands épisodes de crues à l’échelle de l’Holocène seront comparés aux variations climatiques mises en évidence grâce à l’étude des pollens prélevés dans la doline.