L’École française d’Athènes à Chypre au XIXe siècle

En 1878, Albert Dumont, alors directeur de l’EFA (1875-1878), croyant bénéficier du contexte a priori favorable aux archéologues que la cession de Chypre à l’Angleterre a créé, charge deux membres, les premiers depuis la fondation de l’EFA, d’une mission philologique, archéologique et épigraphique sur l’île de Chypre.
En 1878, Albert Dumont, alors directeur de l’EFA (1875-1878), croyant bénéficier du contexte a priori favorable aux archéologues que la cession de Chypre à l’Angleterre a créé, charge deux membres, les premiers depuis la fondation de l’EFA, d’une mission philologique, archéologique et épigraphique sur l’île de Chypre.

1878 : la première mission de l’EFA à Chypre

En 1878, Albert Dumont, alors directeur de l’EFA (1875-1878), croyant bénéficier du contexte a priori favorable aux archéologues que la cession de Chypre à l’Angleterre a créé, charge deux membres, les premiers depuis la fondation de l’EFA, d’une mission philologique, archéologique et épigraphique sur l’île de Chypre. À partir du 31 juillet, Mondry Beaudoin (1852-1928 ; promo. EFA 1876) [fig. 1EFA cliché n° 62937 : Médaillon en plâtre représentant M. Beaudoin (photo P. Amandry, 1970).] couvre d’abord seul les parties centrale et Nord, avant d’explorer jusqu’au 6 novembre 1878, avec Edmond Pottier (1855-1934 ; promo. EFA 1877) [fig. 2EFA cliché n° 62939 : Médaillon en plâtre représentant E. Pottier (photo P. Amandry, 1970).] qui l’a rejoint en septembre, les parties Sud et Est de l’île. Comme le souligne Emmanuel Miller, le but assigné à leur mission consiste « surtout à contrôler, à corriger sur quelques points, à compléter sur quelques autres les faits recueillis par leurs devanciers » sur l’Antiquité et le Moyen-Âge chypriotes.

Un an plus tard, leur mémoire, intitulé «Voyage dans l’île de Chypre», de la main de M. Beaudouin, mais élaboré en commun, est soumis à l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres. Ce manuscrit de 86 pages est un des plus anciens mémoires de membres conservés à l’EFA. Fins connaisseurs des sources antiques et de la bibliographie contemporaine, les deux hommes y décrivent, dans huit chapitres correspondant aux unités géographiques qu’ils ont eux-mêmes explorées, les sites fouillés par leurs prédécesseurs. Ils y indiquent également ceux qui mériteraient d’être refouillés de manière systématique par l’EFA : Amathonte, Kouklia (Palaepaphos), Soli, Salamine, Akanthou (Mélanissiko) et Affendrika. Leurs descriptions des sites, concises et peu entachées de remarques personnelles, s’accompagnent de quatorze croquis [fig. 3EFA MEM 3 : Extrait du chapitre III du mémoire d’E. Pottier et de M. Beaudouin, avec trois plans généraux du temple de Kouklia (p. 23) et deux plans et un détail d’un hypogée de même structure que celui de Palaeo-Kastro, juillet 1879.] et d’un rectificatif de la carte, établie entre 1852 et 1861 par le médiéviste Louis de Mas Latrie, qu’ils ont utilisée. Enfin, E. Pottier et M. Beaudouin y présentent 87 inscriptions, dont certaines ont aujourd’hui disparu, et mentionnent des objets conservés dans des collections particulières, restés jusque-là inconnus du monde savant.

Hormis quelques articles écrits à deux mains ou séparément, les deux hommes ne publieront jamais intégralement les résultats des recherches, tels qu’ils apparaissent dans leur mémoire. C’est ainsi que David George Hogarth, futur directeur de la British School at Athens, sera ultérieurement considéré comme le premier à avoir identifié la ville d’Ourania sur le site d’Affendrika, alors même qu’E. Pottier, dès 1886 – un an avant le début des fouilles de D. G. Hogarth –, a déjà cru pouvoir identifier la ville.
 

1886 : le projet de fouilles avorté de G. Radet

Huit ans après la mission Pottier-Beaudouin, fait peu connu, – et alors que Paul Foucart, le successeur d’A. Dumont à la direction de l’EFA (1878-1890), s’est surtout intéressé à l’Asie Mineure –, l’École tente à nouveau de « prendre pied » dans l’île, comme le laisse penser une lettre conservée dans les archives de l’EFA.

Ce document [fig. 4EFA CHYPRE 2 : Lettre d’E. de Castillon Saint-Victor à G. Radet (p. 1-2), 28 juillet 1886.] est adressé le 28 juillet 1886 par Eugène de Castillon Saint-Victor, consul de France à Larnaca (1885-1889), à Georges Radet (1859-1941 ; promo. EFA 1884), membre de deuxième année [fig. 5EFA cliché n° 62945 : Médaillon en plâtre représentant G. Radet (photo P. Amandry, 1970).]. Le consul y propose un projet d’exploration à G. Radet, qui l’a auparavant sollicité, lors d’un passage à Larnaca, sur les possibilités qui pourraient s’offrir à lui de donner son « premier coup de pioche dans l’île de Chypre ». Sous le sceau de la confidentialité, il joint à sa lettre deux copies manuscrites des rapports de la mission d’exploration qu’il a effectuée en mai de la même année, à la demande du Comité des travaux historiques, à Kourion (Curium). Cette mission a eu pour objectif de vérifier que les chambres souterraines mises à jour dans un champ par Theocharis, ancien chef-ouvrier de Luigi Palma di Cesnola, consul des États-Unis d’Amérique à Larnaca (1865-1877), correspondent bien à celles, dites du « Trésor de Curium », que le même Cesnola prétend avoir découvertes en 1875.

Confirmant à G. Radet que le « trésor de Curium » n’existe pas en tant que tel, E. de Castillon Saint-Victor l’invite à venir fouiller le site de Kourion. Il lui explique les contacts à prendre sur place (notamment Max Ohnefalsch-Richter), les démarches à suivre pour obtenir une autorisation de fouille auprès des autorités britanniques, ouvrir le chantier et effectuer le partage des objets découverts entre le fouilleur, le propriétaire du terrain et les autorités. Le consul propose enfin que l’École fouille les temples et les autres monuments inexplorés du site, dans le cadre de ses recherches, ainsi les nécropoles de Curium afin d’enrichir les collections du Louvre.

L’École ne donnera pas suite à cette proposition et G. Radet poursuivra ses recherches sur l’Asie Mineure. Ayant obtenu quelques mois après cet épisode un permis officiel auprès des autorités britanniques, E. de Castillon Saint-Victor fouillera cependant lui-même le site, ce dont il rendra compte dans un rapport publié en 1891 dans les Nouvelles Archives des Missions scientifiques et littéraires.
 

1896 : les premières fouilles de l’EFA à Chypre

Ce n’est qu’en 1896, sous la direction de Théophile Homolle (1890-1903), que l’EFA entreprend de véritables fouilles sur l’île de Chypre. Les archives de l’École conservent une partie de la correspondance envoyée à ce propos à Th. Homolle par Marius Panayotis Tanos, dit Tano, citoyen français, antiquaire et propriétaire d’un terrain à Larnaca, et le ministère français chargé de l’Instruction publique.
Dès la fin de l’année 1895 [fig. 6EFA CHYPRE 3 : Lettre de Tano à Th. Homolle, 17 décembre 1895.], Tano, qui estime avoir découvert une tombe dans son grand jardin près de Larnaca, propose à Th. Homolle d’y faire fouiller un des membres de l’EFA. En février 1896, avisé que le projet de fouilles a aussi été présenté au ministère des Affaires étrangères par Émile Boysset, consul de France à Larnaca (1891-1900), Th. Homolle est invité par son ministère de tutelle à envoyer un membre de l’École faire un « voyage d’études » à Chypre pour juger de près de l’importance des fouilles projetées. Au terrain de Larnaca appartenant à Tano, s’ajoute un autre terrain, pour lequel Tano sert d’intermédiaire, situé dans l’ancienne ville de Lapéthos où des trouvailles importantes ont été faites par les habitants des villages voisins.

Renseignements pris sur la situation à Larnaca et sur ses interlocuteurs (É. Boysset, Tano, autorités locales), Th. Homolle charge Charles Fossey (1869-1946 ; promo. EFA 1894) [fig. 7EFA cliché n° 62962 : Médaillon en plâtre représentant Ch. Fossey (photo P. Amandry, 1970).] d’entreprendre des fouilles à Larnaca. Celui-ci, arrivé sur place le 22 avril 1896, renonce dès le 4 mai à poursuivre ses travaux et, malade, quitte Chypre pour Beyrouth.

L’affaire semble ensuite se corser, ainsi que le montre une lettre, datée du 29 septembre 1896, que Ch. Fossey envoie à Th. Homolle. Il y relate un incident survenu avec la douane de Chypre, incident que le consul de France à Larnaca n’a pas voulu signaler au ministère des Affaires étrangères, ce qui explique sans doute que les archives du ministère n’en ont pas gardé trace. Après le départ de Ch. Fossey, É. Boysset a en effet récupéré une caisse expédiée d’Athènes avec les bagages de Fossey, qui portent le connaissement « lavori di gesso ». Outre son lit et une selle, s’y trouvent un fusil de chasse et un revolver, ce que Ch. Fossey semble avoir déjà signalé au consul, qui feint après coup l’innocence. La douane saisit la caisse, sans que le consul puisse intervenir pour la faire transiter vers Beyrouth, comme il s’y était engagé. Les rapports entre le membre de l’École et le consul se détériorent par la suite, au point qu’É. Boysset conseille à Ch. Fossey de renoncer définitivement aux fouilles de Larnaca [fig. 8EFA CHYPRE 3 : Lettre d’É. Boysset à Ch. Fossey (p. 1-2), 27 mai 1896.]. Toujours dans sa lettre du 29 septembre, Ch. Fossey dévoile à son directeur les manigances d’É. Boysset et de Tano : se servir de l’École pour obtenir le permis de fouille, offrir le terrain à l’EFA pour faire enlever les pierres « sans bourse délier » et forcer ensuite Ch. Fossey à leur remettre officiellement, après son départ, la continuation des fouilles.

Arrivé le 20 juillet à Larnaca, Paul Perdrizet (1870-1938 ; promo. EFA 1893), missionné par Th. Homolle pour prendre la relève de Ch. Fossey, entreprend « un voyage d’études » dans l’île. Il a une bonne excuse, le nouveau permis de fouilles à son nom ne lui pas encore été délivré. La vraie raison de ce voyage est présentée dans une lettre du 27 septembre 1896 adressée à E. Pottier : estimant le projet d’autant moins convaincant que le site de l’ancienne Lapéthos n’a été proposé que pour rendre plus séduisante l’idée d’une campagne dans « le jardin de Tano », il décide de ne pas continuer les fouilles de Ch. Fossey à Larnaca.

La proposition de Tano ne sera reprise ni par Ch. Fossey, ni par P. Perdrizet, qui auront tout fait pour faire échouer le plan de Tano et d’É. Boysset. Ce dernier, convaincu lui-même du peu d’intérêt des fouilles à Larnaca, aidera par la suite P. Perdrizet pendant son voyage d’études et lui proposera des antiquités pour le musée du Louvre [fig. 9EFA cliché n° 23826 : Ex-votos avec des parties du corps humain et des inscriptions gravées ou peintes en l’honneur du Theos Hypsistos (photo mission P. Perdrizet, 1896. Actuellement au musée du Louvre, inv. AM 668_plaquette avec les seins ; AM 670_plaquette avec les yeux). -10EFA cliché n° 23829 : Vase mycénien, provenant d’Aradippou, près de Larnaca (photo mission P. Perdrizet, 1896. Actuellement au musée du Louvre, inv. AM 625).]. Dans une lettre du 21 novembre 1896 adressée au ministère, Th. Homolle fermera définitivement ce chapitre peu connu de l’archéologie chypriote : « M. Fossey […], M. Perdrizet qui lui succéda, et bientôt aussi M. Boysset, convaincus par l’insuccès des premières tentatives, reconnurent que les fouilles ne répondaient pas aux espérances conçues d’abord et les abandonnèrent ».
 
DOCUMENTS D’ARCHIVES CONSERVÉS À l’EFA :
Mission de M. Beaudoin et d’E. Pottier à Chypre en 1878 :
MEM 3 : POTTIER (Edmond) et BEAUDOUIN (Mondry), Voyage archéologique dans l’île de Chypre, fait pendant les mois d’août à novembre 1878, mémoire de membre de 2e année (1879).
CHYPRE 1 : Lettre d’E. Pottier à P. Foucart, directeur de l’EFA, concernant les notes prises lors de son voyage avec M. Beaudoin en 1878 sur Aphendrika (nov. 1886).

Projet de fouilles dans l’île de Chypre en 1886, sous la direction de G. Radet [non abouti] :
CHYPRE 2 : Lettre d’E. de Castillon Saint-Victor, consul de France à Larnaca, à G. Radet, avec copies manuscrites des deux rapports de la mission d’exploration effectuée par d’E. de Castillon Saint-Victor concernant les chambres souterraines dites du trésor de Curium découvertes par L. Palma di Cesnola en 1885 ([mai]-juil. 1886).

Fouilles de terrains à Larnaca et à Lapethos en 1896, sous la direction de Ch. Fossey (avril 1896), puis de P. Perdrizet (juillet-septembre 1896) :
CHYPRE 3 : Interruption des fouilles suite à la maladie de Ch. Fossey, renouvellement de l’autorisation de fouilles pour P. Perdrizet : lettres et télégramme de Marius Panayotis Tanos (dit Tano), et du ministère de l’Instruction publique à Th. Homolle, directeur de l’EFA, lettres de Tano et d’E. Boysset, consul de France à Larnaca, à Ch. Fossey, projet de lettre de [Ch. Fossey] à E. Boysset (déc. 1895-oct. 1896).
FTH 1 (2), dos. 5 : lettres de C. Enlart et de Ch. Fossey à Th. Homolle (1896, [copies]).

SOURCES COMPLÉMENTAIRES :
Grèce : École française d’Athènes : série Chypre (1886-2012) ; série Amathonte (1969-2012) ; dossiers des archives administratives de l’EFA relatifs à Amathonte (5 ADM 21, 7 ADM 2-3) ; mémoires des membres de l’EFA relatifs à Amathonte (MEM 41, 45, 67 et 89) ; archives photographiques et graphiques.

France : Bibliothèque de l’Institut de France, Paris : Papiers Théophile Homolle, Ms 3874 : correspondance avec M. Ohnefalsch-Richter sur les monuments de Chypre. Archives nationales, Pierrefitte-sur-Seine : F17 4111 : Fouilles de terrains à Larnaca et à Lapethos : correspondance relative à l’autorisation de fouilles accordée à l’EFA par le gouvernement anglais (1896) ; F17 2945A : Dossier de la mission d’E. de Castillon Saint-Victor à Chypre sur les ruines de l’ancienne Curium (1885-1891). Centre des archives diplomatiques, La Courneuve : Correspondance politique des consuls de France à Larnaca (1871-1896) ; correspondance politique et commerciale de la direction des affaires politiques du ministère des Affaires étrangères avec les consuls de France à Larnaca (1896-1918).